Jour 15

Jour 15 sur la nouvelle planète

Mercredi soir,  21h42.

Tout ce que j’arrive à faire c’est réfléchir parce qu’enfin j’ai du temps pour le faire. Le 13 mars dernier, notre monde a commencé à chambouler face aux décisions du gouvernement, notamment d’annoncer la quarantaine. Du moins, pour moi, puisque c’est à cette date que les tribunaux ont annoncé un ralentissement des activités judiciaires. Je vous entends dire: ah non, pas un autre article sur le COVID-19. Laissez-moi vous rassurer, ce n’est pas le cas. Du moins, pas directement.

 

Mais depuis ce fatidique vendredi 13, les termes « confinement forcé » prennent tout leur sens. Depuis cette date, on est forcé en effet. Forcé de ralentir, forcé de changer nos priorités, forcé de repenser notre monde, forcé de penser aux autres avant soi et constater que nos actions auront un impact direct sur eux, forcé de réaliser que l’entraide est essentielle pour surmonter cette crise existentielle. Forcé de constater plusieurs choses qui auraient été plus longues à réaliser autrement, dans notre quotidien pré-quarantaine. C’est là, selon moi, la conséquence première d’avoir du temps: s’arrêter pour  réaliser. Réaliser des choses qui sont d’une évidence même mais qu’on n’avait pas le temps de voir parce qu’on allait trop vite.

 

C’est vrai que le quotidien usuel nous force à plusieurs choses lui aussi. Forcé de performer, forcé de courir partout, forcé d’être proactif, forcé de plaire à tout le monde, forcé de bien paraître, forcé d’être à son meilleur, partout, tout le temps. Forcé de faire ce qui, enfermé chacun chez soi, entre quatre murs, devient illusoire. Face à l’obligation de ralentir, ça nous rentre dedans. Comment on vivait avec le rythme d’avant? 

 

Comment on vivait sans se permettre une petite sieste d’après-midi? Comment on vivait sans dire à nos amis et notre famille qu’on les aime, qu’on a hâte de les voir et qu’on s’ennuie? Comment on vivait sans ressentir un bonheur inexpliqué à se retrouver devant sa fenêtre et un rayon de soleil tellement doux qu’il te force à rester quelques minutes de plus? Comment on vivait sans se sentir tellement bien d’être allée faire l’épicerie de sa vieille voisine qui ne peut plus sortir et qui comprend pas trop comment fonctionne les épiceries en ligne?  Comment on vivait sans avoir passé au travers d’un livre en une journée parce qu’il était trop bon et qu’on ne pouvait pas s’arrêter? Comment on vivait sans sourire devant 4-5 arc-en-ciel accrochés dans les fenêtres de nos voisins? Comment vivait-on sans ces douceurs quotidiennes devenues essentielles à notre bonheur?

 

Des choses banales qui prennent tout leur sens quand on a le temps.

 

Probablement qu’on pourra répondre à cette question lorsque viendra le temps de reprendre la vie « normale », post-quarantaine. C’est là que le dilemme se présentera vraiment. À toi (et à moi aussi) qui retourneras dans son quotidien à 100 milles à l’heure, je te dis ceci: continue à proposer à ta voisine de faire son épicerie et même plus, accompagne-là pour la faire ; prends des bains de soleil chaque jour, souviens-toi à quel point ça faisait du bien à ton âme ; garde l’arc-en-ciel dans ta fenêtre pour rappeler à tous (et à moi aussi) à quel point cette période était douce parce qu’on a été contraint de ralentir. 

 

Je sais, c’est paradoxal de dire que c’est une période douce alors que des milliers de gens meurent. Comprenez-moi bien, ce n’est pas la crise que je trouve douce, mais le ralentissement qui vient avec. On m’a souvent dit que le vendredi 13 était un jour qui portait malheur. Je ne suis plus vraiment certaine d’y croire à cette étiquette des jours malchanceux. Peut-être que ce vendredi 13 était le déclic dont on avait besoin. Peut-être qu’en fait, celui-ci sera symbolique de chance.

 

Peut-être que celui-ci te rappellera (et à moi aussi) que quand on met les priorités au bon endroit, on est capable de tellement plus de douceur envers soi-même mais surtout envers les autres.

 

Joalie Jenkins