Le poids de la stigmatisation

La grossophobie est omniprésente dans les cabinets médicaux, où l’on ne se gêne pas de blâmer le surpoids des patients sur des mauvaises habitudes de vie ou pire, sur de la paresse. Biais implicite systématique bien implanté dans l’imaginaire collectif, malgré toute la recherche qui met en lumière les origines complexes et à forte influence génétique de l’obésité. D’ailleurs, en médecine, on parle encore de SURpoids ; mot qui d’emblée sera perçu comme péjoratif. On parle encore de maladie chronique auto-engendrée. On catégorise nos patients sur une échelle qui ne cesse de démontrer ses failles : l’IMC. On corrèle la masse corporelle des individus avec des issues défavorables de santé comme si seul cet indice pouvait prédire leur espérance de vie. Quelle dépersonnalisation. Un passe-droit intellectuel comme il y en a plusieurs, en médecine, pour simplifier des tâches qui seraient trop complexes ou avides de temps autrement.
Je pèse peu mes mots en affirmant qu’il ne s’agit ni plus ni moins que de discrimination systémique envers les personnes plus corpulentes de la société. Sachant qu’il existe d’ailleurs une corrélation notable entre les conditions socio-économiques défavorables, les troubles de santé mentale et l’obésité, il n’est pas étonnant de constater cet état de fait. Puhl & Brownell (2006) ont démontré que 69% des personnes de taille forte se sentent stigmatisés par leur médecin. Que cette discrimination passe par des blagues inappropriées, du matériel médical non adapté, des chaises trop petites, des examens physiques bâclés ou des remarques non-sollicitées sur le poids, les conséquences sont bien tangibles. Des personnes qui se sentent stigmatisées par le système perdront confiance envers celui-ci et ne s’y intègreront pas. Ceci engendre donc une persistance de l’homogénéité des travailleurs de la santé qui peut certainement devenir un obstacle significatif dans une approche « corporellement » sensible. Les iniquités des soins de santé ainsi perdurent et le « fat-shaming » continue de faire son chemin jusque dans nos salles de cours et fait perdurer notre distorsion cognitive collective sur la suprématie de la taille de guêpe.
Qu’en est-il des conséquences psychologiques de notre approche maladroite à cet enjeu critique ? Quelques chercheurs se sont penchés sur la question, notamment Alberga et al. (2015). Les effets délétères d’une stigmatisation de l’obésité incluent notamment : « une communication et des soins moins centrés sur le patient, (…) et une (augmentation) du risque de comportements malsains, notamment une consommation accrue de nourriture et une diminution de l'activité physique, de l’adhésion au traitement, un retard dans la recherche des soins de santé ou son évitement, des sentiments d'anxiété, de dépression, de manque d'estime de soi et des pensées suicidaires ». L’association marquée entre la stigmatisation du poids et les troubles de santé mentale est désormais notoire et corroborée par de nombreuses études. Il découle donc de nos préjugés des patients plus malades, souffrants et délaissés par le système de santé. Nous contribuons à perpétuer un stresseur chronique chez ces personnes les rendant ainsi vulnérables. De cette vulnérabilité peut émerger une propension à recourir à des diètes (largement décrites comme inefficaces dans la littérature scientifique) ou à des programmes d’entrainement qui sont inadaptés. Il devient évident qu’une personne qui vous pousse à changer sans égard à votre expérience personnelle est soit mal informée ou elle a quelque chose à vous vendre.
Il faut saisir l’occasion, dans cette ère qui met de l’avant l’acceptation de soi et encourage des campagnes publicitaires plus authentiques, de changer notre pratique comme professionnels de la santé. Il faut cesser de cautionner une société maladive vouant un culte aux allures de religion à la minceur. Plusieurs approches ont été étudiées pour réduire la stigmatisation du poids dans les milieux de soins. Toutefois, peu s’avèrent efficace car il faut comprendre que ce n’est pas seulement la culture médicale qu’il faut changer mais bien la culture populaire. Il est évident toutefois qu’un milieu mieux informé sur ces enjeux et plus empathique sera davantage sensibilisé et aura une approche plus inclusive, moins normative. Certains le verrons comme un défi de taille. Tous devraient le voir comme une question de respect.
Eve Forcier-Doddridge, MD
Références
ALBERGA AS, PICKERING BJ, ALIX HAYDEN K, BALL GD, EDWARDS A, JELINSKI S, NUTTER S, ODDIE S, SHARMA AM, RUSSELL-MAYHEW S WEIGHT BIAS REDUCTION IN HEALTH PROFESSIONALS : A SYSTEMATIC REVIEW. CLIN OBES. 2016 JUN;6(3):175-88.
PUHL RM, BROWNELL KD. CONFRONTING AND COPING WITH WEIGHT STIGMA : AN INVESTIGATION OF OVERWEIGHT AND OBESE ADULTS. OBESITY (SILVER SPRING). 2006 OCT;14(10):1802-15
MATHARU K, SHAPIRO JF, HAMMER RR, KRAVITZ RL, WILSON MD, FITZGERALD FT. REDUCING OBESITY PREJUDICE IN MEDICAL EDUCATION. EDUC HEALTH (ABINGDON). 2014 SEP-DEC;27(3):231-7
EMMER C, BOSNJAK M, MATA J. THE ASSOCIATION BETWEEN WEIGHT STIGMA AND MENTAL HEALTH : A META-ANALYSIS. OBESITY REVIEWS. 2019; 1-13.