Julie, je te comprends

Comment se fait-il qu’en tant que société, on considère qu’une personne grosse n’est attirante que pour une autre personne grosse? Comment avons-nous intériorisé un tel discours discriminatoire?

Je n’écoute pas Occupation Double. Par contre, j’ai été bombardé sur mon fil Facebook de publications en lien avec Julie, candidate à l’émission. Pour celles et ceux qui ne suivent pas l’émission, en voici un portrait malheureusement assez familier : Julie est la seule candidate plus-size, placée là pour donner une illusion de diversité corporelle. Elle est confrontée au fait qu’elle n’est la préférée d’aucun des gars de l’aventure, qui la considèrent comme une amie comique avec aucun potentiel romantique. Sur Internet, les gens rationnalisent son impopularité comme si c’était absolument inévitable : des gars musclés ne trouveront jamais une fille comme Julie attirante. C’est, selon bien des gens, la dure loi de la jungle. 

La solution pour plusieurs internautes? Mettre des gars gros dans l’émission pour donner une chance à des filles comme Julie. Plusieurs blâment la production d’avoir apparemment choisi des gars qui n’aiment pas les filles rondes. 

Un peu de diversité corporelle au niveau des gars (pas juste à OD) ne ferait évidemment pas de tort, mais la réflexion doit être poussée plus loin. Comment se fait-il qu’une si grande partie des téléspectateurs, bien qu’empathiques au sort de Julie, ne trouve comme solution que d’amener d’autres gros à l’émission? Comment se fait-il qu’en tant que société, on considère qu’une personne grosse n’est attirante que pour une autre personne grosse? Comment avons-nous intériorisé un tel discours discriminatoire?

J’aimerais rappeler au public que dans une société comme la nôtre, les goûts ne sont malheureusement pas dans la nature. Nous ne sommes pas des animaux de la jungle. Nous avons emmagasiné une quantité d’informations depuis notre enfance qui influencent nos décisions, nos choix, et même nos envies. Vous n’êtes pas nés en étant attirés par des intellos, des tatouages ou des casquettes à l’envers. Vous êtes attirés par votre conception sociale et culturelle de ces types. 

Pour ce qui est des personnes grosses, notre société nous a façonné un seul modèle assez clair. Les gros, depuis notre enfance, nous sont présentés comme des paresseux, des accrocs à la nourriture, en plus d’être le comic-relief par excellence. Que ce soit à la télévision, sur le web ou dans les productions culturelles de tous genres, les personnages gros que nous voyons sont souvent non-populaires, appréciés pour leur bon coeur et leur sens de l’humour, mais jamais considérés pour leur sex-appeal (inexistant). Ils sont drôles, utilisés comme blagues ou pour renforcer une blague (comme dans la pub de Maxi avec Martin Matte). S’ils entretiennent une relation amoureuse, c’est un accomplissement inusité. Si une personne mince tombe amoureuse d’une personne grosse, c’est grâce à sa personnalité et non à une attirance pour son corps. On est gros MAIS on est fins. On est une bonne personne MALGRÉ notre grosseur. 

On grandit avec cette pression constante d’être la personne la plus drôle, la plus gentille, pour espérer avoir droit à l’amour, à la sexualité et au respect. On grandit avec cette impression que notre corps sera toujours un obstacle. Le sort de Julie nous plonge directement dans cette réalité du monde du dating : on a beau être beau, drôle, intelligent, respectueux, si on est gros on est disqualifiés. 

Bref, ne vous étonnez pas que Julie passe son temps à faire des blagues et à montrer sa forte personnalité. Toute la société répète que c’est là son seul atout.

J’en appelle donc aux créateurs de tous genres : on a besoin d’une représentation diversifiée. On a besoin de personnes grosses sexy, attirantes et confiantes. 

 

Et en tant que public, on a le devoir de les applaudir.